Speed-dating. C’était ce genre de truc pour ces célibataires endurcis, devenus aigris avec l’âge. C’était une idée de son entourage ce speed-dating. Apparemment, on pouvait y rencontrer la femme de sa vie. Mensonge, publicité mensongère. Comme si en une fraction de minute, vous la trouveriez. Sloane n’était pas conquis par ce concept mensonger. Poussé par ses amis, (pouvait-il les considérer encore comme tel après ce qu’il allait devoir endurer ?) il avait donc décidé d’y aller. Être célibataire, c’était cette maladie que l’on fuyait comme la peste lorsque l’on approchait la trentaine. Et à chaque maladie, son remède. Assis sur sa chaise, Sloane réajusta sa veste. Pour l’occasion, il avait décidé d’endosser sa veste de costume. Veste qu’il mettait lors des enterrements, des anniversaires, des mariages, des grands rendez-vous, des baptêmes, des réunions de famille. Il commanda un second verre en attendant la venue de sa nouvelle prétendante. A l’idée de voir une femme s’installer en face de lui, un soupir s’échappa de sa bouche.

Moira traina des pieds jusqu’à la table libre qui se trouvait en face d’elle. Elle venait d’arriver dans la petite salle transformée en quelques instants en endroit propice à la drague foireuse. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle venait à vrai dire. Elle trouvait cela ‘marrant’. Après tout, il ne suffisait pas d’avoir vingt ans pour avoir le droit de s’amuser. Aussitôt, elle s’avança et se stoppa nette devant la table. Elle regarda l’homme qui se trouvait assis juste en face d’elle. Brun, plus ou moins mal rasé, habillé de manière subtilement décontracté. A ses airs, on avait l’impression qu’il s’ennuyait ici. Moira se racla la gorge afin d’indiquer sa présence. Ce petit bruit loin d’être joli ne semblait pas interpeler l’homme. Après un second raclement de gorge, elle décida de prendre la parole. ‘‘Excusez-moi ? Puis-je m’installer ?’’ lui demanda-t-elle quelque peu maladroitement. Puis leurs regards se croisèrent. Enfin, il avait remarqué sa présence. C’est alors qu’il lui fit un signe de la tête comme pour lui indiquer qu’elle le pouvait. Et sans un mot, elle ôta son trench qu’elle déposa sur le dossier de sa chaise où elle allait s’installer. Et dans quelques minutes, elle allait devoir tenir la conversation à un inconnu…

L’air penseur, l’air détaché, l’air évasif. Sloane semblait avoir oublié sa présence à ce maudit speed-dating. C’est alors qu’une voix féminine vint réveiller son esprit rêveur. Un peu surpris, il sursauta. Puis il la regarda un long instant avant de daigner faire un autre geste. Après de longues minutes hésitantes, il fit un signe de tête comme pour lui dire qu’elle pouvait. Qu’elle pouvait s’installer. Pendant qu’elle s’installait à la table, il l’observa rapidement. Une petite blonde, sûrement assez simple, plutôt jolie. Très jolie même. Ce genre de femme qui se voulait naturelle et élégante. Sa présence ici était sûrement une blague, un mauvais tour. Puis il se racla la gorge avant de regarder longuement autour de lui lorsque la cloche retentit. Cloche qui donnait le départ du ‘rendez-vous’. Il scruta ces quidams qui l’entouraient. ‘‘Bon… commençons. Vous m’excuserez c’est la première fois que je viens dans ce genre de truc. Du coup, je ne sais pas trop comment on s’y prend. Apparemment, la première chose que l’on demande, c’est l’âge, le centre d’intérêt et ce que son partenaire recherche chez le sexe opposé. Bien… on a qu’à appliquer la règle, puisque c’est comme cela que ça marche !’’ lâcha-t-il. Un rictus amusé se dessina sur ses lèvres, puis son attendre, il reprit la parole : ‘‘alors, quel âge avez-vous ?’’. Il avait l’impression d’être dans un espèce d’interrogatoire suspicieux et pas très net.

Alors qu’elle venait de s’installer, un serveur vient à sa hauteur. Elle commanda un jus d’abricot, aussitôt dit, le jeune homme disparut. Elle regarda sans un mot l’homme muet qui se trouvait sous ses yeux. Allait-il prendre la parole ? Où allaient-ils continuer de se regarder ainsi dans les blancs des yeux jusqu’à la fin de leur dit rendez-vous ? Et sans s’y attendre, il prit la parole. C’était la première fois qu’il venait ici, lui avait-il confié. Et il continua de parler. Un petit rire amusé s’échappa de la bouche. Quelques secondes après, elle tenta de reprendre son calme. Histoire qu’il ne la prenne pas pour l’une de ces idiotes qui riaient pour rien. Pour l’une de ces blondes sans cervelle. ‘‘alors, quel âge avez-vous ?’’ lui demanda-t-il par la suite. ‘‘Et si nous commencions par les prénoms ?! Je suis Moira. Et vous avez l’air d’accorder tant d’importance à votre question… j’ai 28 ans. Et vous ?’’.

‘‘Et si nous commencions par les prénoms ?! Je suis Moira. Et vous avez l’air d’accorder tant d’importance à votre question… j’ai 28 ans. Et vous ?’’. Sloane avala avec difficulté la gorgée de sa boisson. Il se sentait soudainement idiot. Idiot de ce qu’il venait de dire. Tant pis. Les erreurs étaient humaines. Et sa maladresse était incorrigible. Il passa nerveusement sa main dans ses cheveux. Puis une nouvelle fois, il se racla la gorge afin d’essayer de retrouver un peu de prestance face à cette femme. ‘‘Echantée, moi c’est Sloane.’’ Dit-il tout en présentant sa main. Les présentations étaient faites. Enfin, il savait au moins son prénom et puis… son âge. Vingt-huit ans, elle avait le même âge que lui, pur hasard. ‘‘Vingt-huis ans aussi. Dites-moi… je peux vous poser une question ? Pourquoi êtes-vous venue ici ?’’

Son regard se balada dans toute la pièce, observant avec curiosité les personnes qui étaient venus ici. Ici, dans ce petit bar transformé le temps d’un après-midi en pièce suintant la drague foireuse. Un soupir vint s’évader de la bouche de la jeune fille avant de reporter son attention sur cet homme. Quel était son prénom déjà ? Sloane, venait-il de lui dire. Sloane. Un petit sourire amusé se dessina sur les lèvres de Moira. ‘‘Sloane ? Comme Peter et Sloane ?’’ s’exclama-t-elle, s’entrainant dans un rire. Après quelques instants, elle tenta de reprendre son sérieux. ‘‘Pardon, vous ne devez pas connaître. C’est l’un de ces groupes kitchs français.’’. Puis elle se tut, attrapant délicatement la main qu’il venait de lui tendre. Les présentations étaient faites. Sloane, 28 ans. Moira, 28 ans. Elle regarda un peu soucieuse le dénommé Sloane lorsqu’il lui demanda s’il pouvait lui poser une question. Elle fronça quelque peu les sourcils, se demandant bien là ce qu’il allait lui demander. Le suspens ne se fit pas attendre. Après une hésitation, elle décida de lui répondre. ‘‘Un coup de tête. Disons que je pensais que ça pouvait être… drôle et puis, ça ne va pas me tuer. A moins que vous soyez un psychopathe… !!’’.

Il sirota sa boisson d’un air songeur. A vrai dire, il ne portait plus attention aux paroles prononcées par la jeune femme qui se trouvait devant lui. Bien trop captivé à contempler ce visage. Son visage. Celui de la belle de Moira. Moira, quel prénom. Les petits rires amusés de cette dernière le fit sourire de plus bel. Il ignorait ce dont elle pouvait dire, mais il souriait. Il souriait comme un imbécile heureux l’aurait fait. Croyez-vous au coup de foudre ? Non, pas lui. Coup de foudre, concept inventé par les niais. Notre société était gorgée de niaiserie à tout va. Il but une énième gorgée lorsque la dénommée Moira se tut. A vrai dire, la seule chose qu’il avait parvenu à écouter était le fait qu’elle émettait l’hypothèse qu’il soit un psychopathe. Sloane secoua doucement la tête. ‘‘Quelle imagination !’’. Un petit rire muet se laissa s’échapper de sa bouche. ‘‘Laissez-moi deviner… vous êtes romancière ? C’est cela ? Ou bien journaliste ? Enfin quelque chose comme ça, je pense.’’ lui fit-il remarquer.